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Patrick Gloux, auteur, nous
relate la genèse de « Cinq »
:
> Cinq, au départ, est une
requête de Frank Flacs, le dirigeant de « le Dos
de la Cuiller », une agence un peu particulière
à mi-chemin de la mise en scène et
de l'architecture commerciale. Il souhaitait marquer
le coup pour les 5 ans de son agence avec un objet-témoin
très personnel, à offrir à quelques
dizaines de personnes. Comme j'écris pour eux
depuis un certain temps, Frank m'avait gentiment associé
au projet.
Il fallait une forme qui rende hommage
à la dinguerie des installations du Dos de la
Cuiller, qui ont à la fois un côté
bricolo- fait maison, un éclectisme digne
d'un inventaire à la Prévert ou à
la Perec, mais aussi une certaine branchitude chicos-foutraque.
J'ai d'abord pensé à quelque chose
qui aurait pu prendre la forme d'un gigantesque pliage-accordéon
à la manière de Utamaro, avec un texte
en bouts-rimés tirés de différents
projets passés. J'ai vite séché
sur les bouts-rimés.
Et puis je me suis dit que pour « rendre »
ces installations, il fallait de la 3D, pour pouvoir
circuler dedans. Mais pas de la 3D synthétique,
de la 3D artisanale, du volume, du tangible, sans pour
autant être passéiste. Fan des bouquins
d'UG, j'avais Doom, Powerpop et Dancing
Robots dans ma bibliothèque. Je les ai montrés
à Frank qui en est tombé raide. Restait
l'inconnue : la star acceptait-elle de faire un boulot
de commande ?
Or la star n'est pas star du tout, son
téléphone n'est pas sur liste rouge et
l'homme est charmant. Rendez-vous fut pris avec Frank
pour une première rencontre à Saint-Ouen,
autour d'une bouteille de brouilly. Notre pétulant
commanditaire a précisé ce qu'il voulait :
tout mettre, tout ce qu'ils avaient fait depuis cinq
ans, tous les noms des gens qui ont bossé sur
les projets, toutes les marques… Et, en plus,
un texte rigolo qui explique les cinq étapes
du travail de son équipe.
Nous sommes repartis chacun de notre
côté avec ce brief limpide. Moi j'aurais
bien fait un peu le tri ; Philippe (UG) voulait
tout garder : le cerf, le coucou suisse,
les chaises, les cadres, la caravane qui passe
et le chien qui aboie, le cigare… J'ai
pondu un texte avec des vers de mirliton et des clins
d'œils à quelques chansons-clés,
et puis on n'a plus entendu parler de Philippe. Il était
reparti dans sa campagne, avec ses gouaches, ses
exactos et ses bouts de cartons.
En effet, l'auteur de Doom,
cette icône moderne qui rend hommage à la
première génération de shoot'em
up, travaille exclusivement avec du carton, de la gouache,
de la colle et des exactos. Et, pour ce projet,
de la ficelle et des attaches parisiennes. |
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On s'est revus à la Halle Saint-Pierre,
où il m'a montré une première maquette.
En carton, avec beaucoup de gouache blanche, du marqueur
et quelques touches de couleur : roots. J'étais
comme deux ronds de flan, tout y était. Il n'avait
rien enlevé, rien jeté. Mais en plus ça
se déployait, ça tournait, ça s'ouvrait
dans tous les sens. Nos voisins de table à
la Halle Saint-Pierre savaient qu'ils venaient d'assister
à une épiphanie moderne. Nous étions
mûrs pour retourner voir le brouilly autour d'une
bouteille de Frank.
Alors on y est retournés, on
a parlé argent (pas beaucoup) et Philippe a souri,
on a parlé délais (pas beaucoup) et Philippe
a arrêté de sourire et a dit « c'est
pas tout ça, j'ai un bouquin sur le feu, si ça
doit être prêt à l'automne, j'en
ai pour tout l'été ».
Parce que le bouquin était fait,
il fallait maintenant le fabriquer : rentrer la
maquette dans l'ordinateur (il a un truc comme dans
« Tron » : un rayon et hop !
c'est dans Illustrator !), puis tout sérigraphier
à la main, puis tout découper à
la main, puis tout coller à la main…
Le tout multiplié par 100 et quelques bouquins !
Au moment de la livraison (qui eut lieu à la
Bastille, le 21 novembre 2006, autour d'une bouteille
de brouilly), Philippe nous a avoué qu'à
la fin, il en était à 4 livres par
jour !
Le reste appartient à l'Histoire.
Les exemplaires numérotés de 1 à 100
ont petit à petit trouvé le chemin des
bibliothèques de quelques happy fews, quelques
initiés ont hérité des rarissimes
exemplaires à compte d'auteur identifiés
par des lettres de A à Z. Le Nasdaq et Euronext
envisagent de créer une cotation spécifique
pour livres animés. Et « Cinq »
fait marrer mes enfants : pari gagné.
Patrick Gloux
> contact
Livresanimes.com remercie chaleureusement Patrick Gloux,
auteur et rédacteur, pour son témoignage
ainsi que Philippe Huger pour les visuels de son livre.
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