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Tout d’abord, comment est né le projet de ce livre ?
Sacha Poliakova : La naissance de ce livre est due au hasard, mais il y a eu tellement de coïncidences au cours de sa réalisation qu’au final je me demande si ce livre n’a pas existé avant qu’on l’invente !
Cela faisait longtemps que j’avais envie de me confronter à un projet de livre pop-up. J’ai proposé cette idée chez Gautier-Languereau, mais à vrai dire, sans beaucoup d’espoir car ces livres coûtent chers et sont difficiles à fabriquer. De plus, je n’avais aucune expérience dans le domaine. Mais chez Gautier-Languereau, ils se sont intéressés au projet. Je voulais plutôt un livre pour les petits, avec une scène sur chaque double page. L’idée du bestiaire est venue assez naturellement. J’avais pensé à l’auteur russe Mikhail Iasnov, car il avait composé tout un cycle de poèmes pour enfants sur les animaux. Des poèmes courts, dynamiques, et comme animés d’un mouvement. Pour l’anecdote, je connaissais Mikhail de nom (il est assez connu en Russie comme “classique de littérature enfantine”) et il se trouve qu’une de mes vieilles amies est devenue son épouse. Bref, j’avais proposé ces textes chez Gautier, et ils ont donné leur accord. Mikhail m’a tout de suite parlé de son ami de longue date Jean-Luc Moreau qui avait déjà traduit les poèmes qui nous intéressaient. Quelle a été notre surprise quand on s’est rendu compte qu’il avait déjà travaillé pour Gautier-Languereau à plusieurs reprises et qu’il connaissait tout le monde. Quant à Aurélien Lemonier, c’est mon mari. Il est architecte et la conception des volumes en trois dimensions à partir du pliage l’intéressait et correspond, d’une certaine manière, à sa culture.
Nous (éditeur, auteur, traducteur, illustrateur, popiste) étions donc prêts pour cette aventure de livre animé en famille.
Comment votre choix s’est-il arrêté sur le livre animé ?
Sacha Poliakova : Cette envie me vient peut-être d’une déception personnelle. Faire des livres était mon obsession depuis le plus jeune âge. J’écrivais des textes, je faisais des images. Du coup, après l’école secondaire ça me paraissait trop évident de faire des études d’illustration, et j’ai atterri à l’Académie Théâtrale de Saint-Pétersbourg, section scénographie. Il est vrai que ces années ont été très formatrices pour moi, j’ai fait des rencontres magnifiques qui m’ont construite, mais je suis absolument incapable de penser l’espace. Le livre animé m’offrait cette possibilité de faire la scénographie dans un livre. C’est-à-dire de faire enfin cohabiter la surface et le volume. Je conçois vraiment le livre animé comme une sorte de petit théâtre de table.
Aurélien Lemonier : De mon côté, la question, peut-être abstraite – de l’ordre de la géométrie –, du passage entre le plan de la feuille de papier et le volume est une question qui, en tant qu’architecte, m’intéresse nécessairement. Le pliage et le dépliage dans le livre, constituent pour moi un champ d’expérimentation très riche : les animations pop-up sont en quelque sorte une petite architecture puisqu’elles mettent en jeu des questions d’espace, de perception des volumes dans le but de produire du sens.
Je n’avais pas une culture importante du livre animé (c’est en fait une culture que j’ai acquise pendant que nous réalisions le projet), cependant un ouvrage comme Un Point Rouge (de David A. Carter) a très rapidement constitué une référence tant d’un point de vue formel que d’un point de vue technique et fait écho, pour moi, à ce qu’un Kandinsky a pu développer dans les années 20.
Cependant, dans cette aventure, l’objectif que je m’étais fixé était de mettre en volume les dessins de Sacha. Il s’est agi avant tout de trouver des volumes et des formes qui donnent une nouvelle dimension aux ambiances que produisent le graphisme, les couleurs et l’attention portée aux détails, des dessins de Sacha.
Pouvez-vous nous décrire les différentes étapes de la réalisation ?
Sacha Poliakova : On avait des poèmes et leur traduction. Et puis le plus dur a commencé. Ni Aurélien ni moi n’avions d’expérience dans le domaine. On passait notre temps à discuter par où on devait commencer. Pour Aurélien, c’était l’image, pour moi, la maquette. A vrai dire, on n’a pas trouvé de solution. Et la collaboration fut mouvementée, il nous arrivait de ne plus y croire. Certaines idées sont venues d’une manière évidente, d’autres ont beaucoup évolué. Pour certains pop-ups, on est effectivement parti du dessin (la cigogne, le poisson rouge), pour d’autres c’était le volume qui s’imposait (le fourmi, le coq, le chaton). Pour le toutou, on avait fait énormément de modifications dans le volume et dans le dessin. Heureusement chez Gautier-Languereau, ils restaient sereins !
Aurélien Lemonier : Au-delà de cette question de l’adéquation entre le crayonné de Sacha et son esquisse en volume, la méthodologie que nous avons suivie est assez simple et surtout très intuitive. L’essentiel du travail s’est effectué en maquette, à échelle réelle. Plusieurs maquettes d’études en blanc ont permis de caler les formes et les mécanismes de chaque page.
Une fois que les différentes formes étaient fixées, je produisais pour Sacha un gabarit à l’intérieur duquel elle dessinait. Il faut dire que chaque dessin que Sacha réalisait était fragmentaire, puisque le pop-up est divisé en une série de morceaux.
Troisième temps, la maquette finale, destinée à valider définitivement le bon fonctionnement de chaque pop-up et l’assemblage des différentes illustrations. Cette dernière maquette était réalisée à partir de photocopies couleurs des dessins.
Enfin, le quatrième temps, lié à la fabrication, a consisté à produire le tracé vectoriel (réalisé sur Illustrator) de chacune des pièces. Ce tracé allait être directement utilisé par l’imprimeur pour qu’il réalise les emporte-pièces pour les découpes. En complément de la maquette finale et du tracé de chaque pièce, j’ai fourni un plan de montage. Cette étape fut pour moi très enrichissante et certainement la plus proche de ma pratique professionnelle, puisqu’il s’agissait de prendre en compte, autant que possible, les contraintes liées à la fabrication. Il est certain cependant, que ce travail fut plus intuitif que scientifique, car nous n’avons pas pu avoir de contact avec les représentants français de l’imprimeur en charge de la fabrication.
Quel bilan tirez-vous de cette première création de livre animé ?
Sacha Poliakova : Un bilan plutôt positif, mais on est resté sur notre faim. Chaque fois qu’on regarde Quand toutou se carapate, on trouve qu’il lui manque des pages, que là on aurait pu améliorer le pliage, ici modifier le dessin, changer la découpe. C’est vrai que les livres animés vous rentrent dans la peau, et une fois le virus attrapé on ne peut plus s’en passer. Je trouve que pour l’illustrateur, cette expérience donne une occasion formidable de regarder ses images sous un angle complètement différent. Personnellement, pour les livres suivants (plats), j’utiliserai les réflexes pop-up. Et puis un livre pop-up c’est un vrai travail en équipe, où on est dépendant les uns des autres et le livre ne peut se faire sans dialogue. C’est d’ailleurs pour cette raison que chez Gautier-Languereau ils ont décidé de mettre les noms de chacun sur la couverture. Et encore je pense que cela ne serait que justice d’y ajouter le directeur artistique, le chargé de production, l’imprimeur, le découpeur. On aimerait bien réaliser un autre livre animé, mais pour l'instant rien de très précis.
Aurélien Lemonier : Le travail en lui-même, avec l’équipe de Gauthier-Languereau, a été pour moi très enrichissant (les différents allers-retours entre l’éditeur et nous, la manière dont nous inventions une collaboration, une méthodologie de travail en même temps que le cahier des charges du livre). La validation finale de l’auteur des poèmes a été également un moment très fort puisque, habitant en Russie, il ne connaissait pas notre travail. Plus généralement, les neuf mois qu’a duré cette expérience ont ouvert pour moi le désir de renouveler l’expérience et de chercher à explorer plus en avant le potentiel narratif et imaginaire que permettent les livres pop up. Sacha parle de scénographie, et en effet ce type de livre s’apparente à l’espace du théâtre (et peut-être à celui du cinéma dans la dimension cinétique). C’est dans cette voie que nous espérons pouvoir proposer un nouveau projet.
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