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Depuis quand fais-tu dans le pop-up, Philippe Huger ? Tu es tombé dedans quand tu étais petit, ou bien ?
Plutôt « ou bien ». Le livre animé en tant que tel, ça ne m’intéresse pas tant que ça. En tout cas pas le livre pour enfants. Je suis d’ailleurs convaincu que le livre animé ce n’est pas pour les enfants : c’est cher, c’est fragile, délicat à manipuler, les enfants bousillent tout en un rien de temps. Non, c’est évident : le livre animé c’est pour les adultes, alors autant en faire avec des sujets pour adultes !
Effectivement, quand on passe en revue tes thèmes (mis à part les Robots), on n’est pas chez Disney : le gore avec Le Killerama, le sexe avec XXX-Rated, le jeu vidéo violent avec Doom et Doom 2+…
Mais c’est de là que je viens ! Je viens de la BD des années 1980, des productions de l’Atelier, de l’alternatif… Mes stars sont toutes issues de ce mouvement punkoïde, de la figuration libre, Di Rosa, Placid & Muzo et des types comme ça. Slocombe, pour qui je fais encore des livres, c’est aussi un des fondateurs de Bazooka. Non, mes racines ne sont pas dans le livre pour enfants !
Et la sérigraphie, c’est pour le côté « beau livre », ouvrage de bibliophilie ?
Pas du tout, au contraire ! La sérigraphie, c’est un choix technique et économique. On pourrait presque dire politique : au début des années 1990, la crise de l’édition a été terrible pour beaucoup d’auteurs qui ne trouvaient plus à être publiés. J’ai rencontré ce type, Allemane, très bon sérigraphe, avec qui j’ai travaillé un temps à l’Hôpital éphémère. La sérigraphie c’était le moyen de s’autoproduire facilement, pour très peu d’argent et un maximum d’efficacité. J’ai toujours été collectionneur, et collectionneur boulimique. Quand tu vois que pour le prix d’un bouquin d’art tu peux autoproduire dix bouquins en sérigraphie, ça incite à produire. Une œuvre, c’est fait pour être diffusé, pour trouver son public. La sérigraphie, c’était le meilleur moyen de faire exister mon œuvre. Je ne cherchais pas à faire joli, mais efficace, pas cher, rapide. C’est de la sérigraphie crapule ! C’était tellement facile que j’ai eu aussi le temps d’éditer d’autres artistes comme Dutertre, Rocco. Et mon atelier de sérigraphie, je l’ai intégralement payé avec le produit de mes œuvres. Autosuffisance, autoproduction. Autonome, quoi !
Alors, les premiers systèmes sont arrivés comment ?
Au début, ce n’est pas le système que je trouvais intéressant, mais de rajouter quelque chose, d’en remettre une couche : un sparadrap sur un bouquin de Slocombe, de la moumoute sur mon bouquin XXX-Rated… C’est venu de l’envie de rajouter une autre dimension à mes livres, comme la couverture de Mutilate, le bouquin de Walter van Beirendonck, le styliste fou qui a créé W< dans les années 1990 : rose fluo, avec deux fermetures éclair pour faire les yeux et la bouche. Très efficace ! Pour exister en librairie, où on se bat quand même contre des mastodontes de l’édition, il faut proposer quelque chose de plus. Le pop-up, c’est cette dimension supplémentaire qui fait par exemple que le type de la librairie du Palais de Tokyo va me prendre un livre à la place du énième bouquin de Taschen, alors que c’est Taschen qui le fait bouffer. Et encore ! Je parle de libraires qui font un vrai boulot, presque celui d’une galerie. Le travail de Un Regard Moderne par exemple, chez qui j’ai découvert des tas de choses, est très important.
C’est comme ça que tu es « entré » en pop-upisme ?
Oui, c’est un peu ça. En recherchant des bouquins en sérigraphie, je suis tombé sur quelques livres qui m’ont montré le chemin. Il y a eu ce livre, Hop-Scène, d’un type qui s’appelle Ivan*. Un beau bouquin, un pop-up en quatre tableaux, avec des systèmes très complexes… La façon de faire est très éloignée de la mienne : c’est un bouquin édité à 1000 exemplaires (moi, 1000 exemplaires, c’est 10 bouquins !), ce n’est pas lui qui a fait la sérigraphie, ni les découpes, il était subventionné… Tout le contraire de mon approche de franc-tireur… Le travail de sérigraphie était un peu décevant, deux passages de rouge et de jaune, mais l’objet était, pour moi, inédit : un bouquin animé qui ne s’adressait pas aux enfants.
La confirmation, elle est venue avec le bouquin de Damien Hirst, une superbe monographie en pop-up ! Avec un titre terrible : I Want to Spend the Rest of My Life Everywhere, With Everyone, One to One, Always, Forever, Now. Là, on est devant un livre d’un artiste contemporain, un type important, et son bouquin est en pop-up. Il y a tout : le requin dans son aquarium, ses compositions avec des médicaments… Autre influence évidente, le bouquin de Blex Bolex, OXO, un livre à flaps où les visages changent. Bolex vient aussi de la sérigraphie autoproduite, à l’époque il était chez Le Dernier Cri, mes ennemis préférés. Et puis il faut aussi que je parle de mes stars, Burns & Panter, qui ont sorti ce bouquin sur le même principe, Facetasm… Tu vois, il y a à la fois la BD underground, l’art contemporain, et le désir de faire différent, de donner du volume, de mettre en mouvement. Et quand il s’agit de mettre en mouvement et que le thème est le sexe par exemple, ça devient évident. Le pop-up, c’est érectile !
Tu collectionnes les livres animés ? Tu t’inspires d’autres bouquins pour élaborer tes systèmes ?
Non, pas vraiment. J’avance par tâtonnements, je me fais avoir par la technique. La série « robots » et les angles droits, ça vient à la fois de mon goût pour l’architecture, mais aussi du fait que je découpe tout moi-même au cutter. Donc : angles droits. En faisant tout tout seul, on a besoin de beaucoup simplifier. L’ordinateur m’a beaucoup apporté. Jusqu’à Karel Kapek je traçais tout à la règle. Puis j’ai découvert l’ordi, et les choses sont devenues beaucoup plus simples. Là où il me fallait un an pour concevoir un bouquin, maintenant je suis beaucoup plus libre, pour imaginer des formes, des découpes, pour la sélection des couleurs aussi. Je gagne du temps, donc je fais plus de livres, donc mes clients sont contents !
La couleur, c’est la chose qui m’a sauté à la figure quand j’ai vu Doom Like la première fois. Le télescopage d’une imagerie très techno, très contemporaine, une grande richesse de couleurs, et un objet traditionnel, avec une vraie sensualité dans la manipulation.
C’est vrai que les gens recherchent beaucoup ce côté « bel objet », avec une richesse de sensations que le monde numérique ne permet plus. Un livre animé, en sérigraphie, d’autant plus si c’est un livre d’UG, c’est pour se faire plaisir. C’est plein de surprises, de trucs qui sautent, parfois ça se coince, faut y mettre les doigts… C’est vivant !
Reste que la prégnance du découpage a une forte influence sur mon travail : je dessine trois semaines, j’imprime trois jours et je découpe pendant trois mois. Le livre est « fini » en un mois, mais il faut encore le produire. D’un autre côté, je deviens super bon en découpes et c’est en train de faire évoluer mon travail. Il y aura sans doute bientôt des bouquins d’UG sans dessin, où l’intérêt viendra principalement de la découpe… Ce qui me fait penser qu’il y a d’autres artistes qui m’ont sûrement influencé, dont un couple qui s’appelait Mathias & Nathalie*, ils faisaient des saynètes en carton peint que j’aimais beaucoup. À l’époque, j’exposais aussi des bidules en carton à la galerie Art Factory, des genres de bas-reliefs en carton découpé et assemblé. Finalement, c’est sans doute le côté « sculpteur de carton » qui ressurgit dans mes pop-ups. La boucle est bouclée.
*site web d'Ivan Sigg
**Mathias Robert & Nathalie Lété continuent séparément leur carrière artistique.
Patrick Gloux
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Livresanimes.com remercie chaleureusement Patrick Gloux, auteur et rédacteur, pour son entretien ainsi que Philippe Huger pour sa disponibilité. |
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