Le Jardin secret du dernier comte de Bountry
de Philippe Mignon
Conception graphique de Laurence Moinot
© Éditions des Grandes Personnes (Paris), 2020
Avec le soutien du Centre National du Livre
Dépôt légal : octobre 2020
Parution le 29 octobre 2020
Album relié avec 20 doubles pages, un rabat, un volet de 4 pages, une roue, deux pop-ups, format 236 x 332 x 16 mm.
À partir de 6 ans
Imprimé en Chine
Prix éditeur : 24,50 €
ISBN 978-2-36193-401-9

 
   
 
     
 
     
 INTERVIEW

   
 


Philippe Mignon, vous êtes un illustrateur que l’on connaît à travers de multiples collaborations avec de grands éditeurs jeunesse comme Gallimard, Nathan, Actes Sud…
Comment s’est fait ce parcours ?
Déjà à l’école primaire, j’adorais le cinéma d’animation et je rêvais d’être un jour dessinateur chez Walt Disney ! Mais je suis d’abord passé par des études d’architecture aux Beaux-Arts de Paris et par dix années en agence à manier le compas et l’équerre. Il a fallu le hasard d’une rencontre avec Jean-Olivier Héron qui venait de fonder Gallimard Jeunesse avec Pierre Marchand pour envisager de me consacrer pleinement à ma passion pour le dessin et décider de ma reconversion.
Mon premier livre publié chez cet éditeur a été La dernière classe et autres contes du lundi d’Alphonse Daudet. C’était le début d’une longue série : Kessel, Guilloux, Kipling, Andersen, Grimm, Aymé, Maupassant, Flaubert, Chamisso, etc.


 
   
 
Votre travail est remarqué et remarquable pour la qualité de vos illustrations. D’où viennent cette sensibilité et cette finesse de votre dessin ?

Je suis un dessinateur autodidacte qui, pendant des années, ne s’est servi que d’un porte-plume et de l’encre de Chine, à l’instar des artistes que j’ai beaucoup étudiés : Heinrich Kley, Alfred Kubin, Daniel Vierge, Adolf von Menzel, Caspar David Friedrich, Canaletto, les Tiepolo, Piranèse,… J’ai aussi appris à dessiner en copiant les dessins de Dürer, Rembrandt et Goya à partir de livres que j’emportais toujours avec moi en voyage.
Quand Bernard Girodroux, alors directeur artistique chez Nathan Jeunesse, m’a demandé d’illustrer des fables de La Fontaine, je n’ai pas hésité à lui proposer de copier des œuvres classiques et d’en remplacer les personnages par les animaux des fables : le corbeau et le renard ont ainsi pris la place de saint Eustache dans un décor de Dürer !
La liberté dont j’ai bénéficié pour ce livre m’a encouragé à développer mes propres projets.

Quels étaient-ils ?
Le premier projet vraiment personnel a été un abécédaire dont toutes les lettres étaient des labyrinthes. Chaque image étant traitée différemment à la manière d’une mosaïque romaine, d’une marqueterie, d’une carte ancienne ou d’un portulan (Labyrinthes aux Editions Nathan, hélas épuisé). Mais c’est à l’occasion de mon album Les secrets d’un miroir chez Actes Sud Junior où j’imaginais la découverte fortuite d’un recueil d’anamorphoses, que j’ai écrit mon premier texte.
Grâce à l’auteur et illustrateur Gilles Bachelet, j’ai eu la chance de rencontrer brigitte Morel et j’ai conçu pour les Grandes Personnes, un bestiaire imaginaire accompagné de notices loufoques des naturalistes et les navigateurs qui les ont rencontrés : Éléphasme, rhinolophon, caméluche et autres merveilles de la nature. Cela a même donné envie au réalisateur Marc Bellan et à ses étudiants de l’École d’animation 3D de Nanterre de réaliser un court métrage très réussi (> Cf. la vidéo).


 
   
 


Entrons maintenant dans Le jardin secret du dernier comte de Bountry pour une promenade merveilleuse qui nous entraîne dans l’univers des cabinets de curiosité et des derniers grands voyages de découverte.
Comment êtes-vous arrivé à cette écriture romanesque et très documentée où fiction et vérité historique s’interpénètrent ?

Je souhaite qu’il y ait dans mes livres plusieurs niveaux de lecture, que certains éléments s’adressent plutôt aux enfants (qui comprennent toujours plus de choses qu’on ne le croit) et d’autres aux adultes. J’ai lu beaucoup de récits de voyages et j’ai conçu une histoire qui fait référence aux grandes expéditions, aux cabinets de curiosités, à l’illustration naturaliste et aux folies des jardins du XVIIIe. Avec le comte de Bountry, j’avais l’idée d’un personnage qui engloutirait sa fortune dans la réalisation d’un jardin à la mémoire de son fils perdu en mer.

Un de mes jeux favoris est de mêler personnages réels et imaginaires comme, par exemple, l’artiste peintre et grande naturaliste du XVIIe siècle Anna Maria Sibylla Merian qui inspire mon personnage d’Héloïse Autheul dont on voit le portrait réalisé par un certain Iphigénin Plomp… Mais cette fois ci, je dois avouer que la réalité m’a rattrapé quand j’ai appris par Monique Mosser, spécialiste des jardins du XVIIIe, qu’un certain Jean-Joseph de Laborde, acquéreur en 1784 du domaine de Méréville, dans l’Essonne, avait fait construire dans ses jardins aménagés un monument… à la mémoire de ses deux fils disparus au cours de l’expédition de La Pérouse !


 
   
 
Votre livre animé a une forme originale qui invite à la participation du lecteur de différentes façons. Il progresse dans le jardin en compagnie du comte et de son visiteur comme s’il suivait un tapis de jeu. Chaque « case » l’amène dans un lieu différent (le lac du damier, l’esplanade des anamorphoses…) où il doit trouver son chemin dans le labyrinthe, découvrir les anamorphoses en mettant son regard au niveau du livre ou encore recréer des chimères.
Comment avez-vous imaginé ces mécanismes ?
J’ai consacré beaucoup de temps à trouver quelle forme donner à ce livre qui ne rentre pas vraiment dans une catégorie, ni tout à fait album classique, ni vraiment livre pop-up avec aussi des éléments de jeux.
À la suite du Bestiaire et à la demande de mon éditrice, j’ai conçu des animaux en pop-up et des images à transformation. Je suis un fan de Lothar Meggendorfer et j’ai passé beaucoup de temps à « entrer » dans ses livres pour en étudier les mécanismes. Quant aux pop-ups, j’avais travaillé avec François Michel, auteur et ingénieur papier, sur un atlas animé pour Actes Sud junior et sur Quand la Terre bouge pour les éditions Belin. J’ai beaucoup appris à son contact… et puis on n’est pas un ancien architecte pour rien !

 
  Vous remettez en valeur les chimères, les labyrinthes et des illusions optiques comme les anamorphoses, déjà présents dans certains de vos précédents ouvrages. Est-ce pour vous une façon de transformer la réalité ?
J’ai toujours eu un goût pour les cabinets de curiosités, les jeux d’optique, anamorphoses, miroirs et la plupart de mes projets tournent autour de ça. Je suis passionné par les illustrations des artistes animaliers depuis Gessner et Aldrovandi jusqu’à ceux des vélins du Muséum. C’est certainement le fait d’avoir dessiné tant d’animaux existants et d’avoir regardé leurs représentations anciennes souvent irréalistes qui m’a amené à en inventer de nouveaux. Et puis, on parle toujours des espèces qui disparaissent, faisons-en apparaître d’autres ! Ce sera ma contribution optimiste au renouvellement de la biodiversité !

Pensez-vous rouvrir les grilles du jardin du comte de Bountry ou celles d’autres lieux magiques et nous faire découvrir bientôt de nouveaux projets ?
Cet été, j’ai mis en route un nouveau livre pendant une résidence d’auteur aux Baux-de-Provence, en lien avec Le jardin secret. J’ai aussi deux nouvelles idées de livres de labyrinthes, dont un sera spectaculaire, un conte en alexandrins et d’autres fantaisies dont je ne parlerai pas encore. J’aimerais aussi rééditer, sous une forme enrichie de nouvelles illustrations en couleurs La merveilleuse histoire de Peter Schlemihl de Chamisso, qui avait été publiée chez Gallimard Jeunesse.

Par ailleurs, depuis deux ans, je m’amuse à écrire beaucoup d’articles sans queue ni tête pour la revue Délibéré, comme ces faits divers mettant en scène des animaux inventés pour Éléphasme. Récemment, j’annonçais la première grande exposition parisienne d’après le confinement : une rétrospective consacrée à Iphigénin Plomp au Muséum national d’Histoire naturelle. La boucle est bouclée !

En attendant de pouvoir visiter cette exposition et découvrir cet artiste réel ou imaginaire, chacun pourra rêver à loisir sur les belles aquarelles de votre livre. Merci, Philippe Mignon !

Propos recueillis par Jean-Marc Desrosiers en novembre 2020

 
    
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