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Jours de Lune
de Katsumi Komagata
© Éditions des Grandes Personnes, 2020 (Paris).
Dépôt légal : octobre 2020
Parution le 14 janvier 2021
Album souple, couverture perforée avec deux rabats, 16 feuillets dont 8 sont perforés, format 184 x 297 mm.
Imprimé au Japon
Prix éditeur : 25 euros
ISBN 978-2-36193-592-4
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ZOOM SUR… |
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> Avec ce nouvel ouvrage, initialement publié au Japon par sa maison d’édition One Stroke, l’artiste japonais Katsumi Komagata poursuit son travail d’exploration du monde. Ce livre aux format, découpes et papier très personnels, est publié en français par les éditions des Grandes Personnes qui reprennent, avec bonheur, le flambeau des Trois Ourses.
Depuis ses livres de la collection Little Eyes, alors destinés à sa fille encore bébé, Katsumi Komagata s’intéresse à ce que perçoit l’autre. Dans Premier regard, il propose aux tout-petits enfants, entre autres, des livres aux formes simples et couleurs très contrastées, voire uniquement en noir et blanc. Dans Feuilles, et dans Plis et plans, il crée pour les non et malvoyants des livres en braille aux découpes subtiles et papier texturé, à lire avec les mains, publié aux éditions des Doigts qui rêvent et les Trois Ourses. On sait aussi que Katsumi Komagata est curieux du monde qui nous entoure, abordant souvent les thèmes des sciences de la vie et de la terre comme l’eau avec Du bleu au bleu, la naissance avec Ca y est je vais naître ou encore les saisons, la vie et la mort avec Petit Arbre (> relire l’article sur Komagata).
Dans ce nouveau livre, Jours de lune, l’artiste noue une fois de plus ces deux intérêts : la découverte du monde à travers les différentes phases de la lune, visibles depuis plusieurs endroits de la Terre, et l’attention à la manière de voir d’autrui.
De quoi s’agit-il donc ici ? Dans ce livre sans parole, les pages sont évidées de disques solaires ou lunaires, croissants ou décroissants, devenant, à la tourne, un fruit entier ou mordu, une bouche, un œuf... Aux paysages se mêlent des figures changeantes, créées quand les parties évidées se posent sur les pages en couleurs. Scènes de désert, de jungle, de banquise, d’espace, de forêt, d’océan, alternent avec des assemblées d’animaux étrangement réunis : girafe et écureuil, singe et lapin, traversant le miroir du documentaire pour rejoindre l’imaginaire et la poésie. Une fois seulement, l’homme est présent, symbolisé par une main.
Et les couleurs de ce livre alors ? Elles sont étranges, en effet, étrangères. Ciel vert, forêt rose, dunes rouges et vertes, rhinocéros bleu… Elles sont aussi parcourues de bandes, tantôt droites, tantôt ondulées, certaines pages étant même presque kaléidoscopiques, sous-tendues de losanges.
« Est-ce ainsi que voient les daltoniens ? » Des ophtalmologues* m’ont répondu : « Non. Ce livre présente, entre autres, des coloris que certains daltoniens peuvent confondre mais pas la manière dont ils voient. Il y a de nombreuses façons d’appréhender les couleurs. Quand elles diffèrent de celles que perçoivent majoritairement les gens, on appelle cela une dyschromatopsie. Le daltonisme est une de ces façons différentes de voir. Une personne sur vingt perçoit différemment les couleurs. Les daltoniens sont majoritairement des garçons : un garçon sur neuf ou dix est concerné, alors qu’une fille sur cent a des troubles de vision des couleurs. Cette particularité des cellules de l’œil, appelées cônes, est portée par un gène du chromosome X ; transmise par la mère, elle est donc plus apparente chez les hommes. En particulier, les daltoniens ont du mal à distinguer le rouge et le vert. Le blanc peut également être vu rosé. D’autres troubles de la perception, plus rares encore, concernent la distinction entre le jaune et le bleu. L’identification d’une couleur dépend de sa teinte (sa longueur d’onde) mais aussi de sa luminosité et de sa saturation. Son contraste avec l’environnement (les nuances) peut intervenir aussi. Deux couleurs qui ont des longueurs d’onde proches seront d’autant plus difficiles à distinguer l’une de l’autre qu’elles sont peu contrastées. Ainsi, un rouge et un vert, très denses, seront bien distingués l’un de l’autre [1]. Alors qu’un rose pâle et un vert pâle seront confondus l’un avec l’autre, formant un ensemble uni, vert, rouge, marron ou parfois même gris, sans distinction [2]. »
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Interrogé à ce sujet, Katsumi Komagata indique : « Quand j’avais dix ans, j’ai réalisé un croquis du bâtiment de mon école, blanc à l’origine : je l’ai peint en rose vif. Mon professeur s’en est inquiété et m’a fait passer un test des couleurs. Le résultat fut bon, mais
depuis je ressens parfois une sorte de gêne à colorer mes dessins. Il est possible que je me sois tourné vers la composition pour compenser cela. C’est ainsi que mon intérêt pour le design a grandi à l’époque. »
Les ophtalmologues, et surtout les orthoptistes qui s’intéressent en particulier aux troubles oculaires, réalisent parfois en France, dans les écoles maternelles et primaires, des tests de perception des couleurs, notamment du rouge et du vert, pour le daltonisme, comme le test d’Ishihara, mis au point par le japonais Shinobu Ishihara en 1917, sous forme d’un recueil de 38 planches [3,4, 5 et 6].
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[4] Nombre 12 orange au centre de pastilles gris-vert |
[5] Nombre 6 orange au centre de pastilles vertes |
[6] Chemin vert sur fond de pastilles orange et jaune |
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Le test pose côte à côte des pastilles de couleurs nuancées. Ainsi Katsumi, en fin d’ouvrage, présente des petits disques de couleur pastel aux nuances de rose, vert et bleu, très subtiles, difficiles à distinguer pour des daltoniens en particulier. Et qu’il invite à retrouver au sein de son livre [7].
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L’artiste indique : « Quand j’ai travaillé à l’ENSAD à Paris, le portfolio d’un des étudiants était entièrement conçu en noir et blanc. Je lui ai demandé pourquoi. Il m’a répondu qu’il avait un souci de perception des couleurs. J’ai alors pensé aux différences de vision des enfants et j’ai travaillé à la création de Jours de lune (Moon phase en anglais). La finalisation du livre a été réalisée avec plusieurs personnes qui ont réellement des troubles de la perception colorée. »
« Comment vois-tu ces couleurs ? » ai-je demandé à Pierrick, un ami daltonien. « Pour moi, cet œil (que je perçois jaune) est vert. Et ce rhinocéros (que je perçois bleu) est gris ». Cette girafe (que je perçois rose) est grise. » Quand les bandes sont fortement contrastées, mon ami les perçoit bien, et même parfois avec les « bonnes » couleurs. Mais quand les bandes pastels sont côte à côte, ils les voient toutes grises [8].
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Les ophtalmologistes pensent que cette utilisation des bandes de couleurs dans le livre met davantage en évidence les différences de visualisation des couleurs, plus que dans un album classique.
Cependant, Katsumi Komagata précise : « Pourtant pour moi, ce livre n’est pas un ouvrage sur les problèmes de perception colorées. Je l’ai créé pour qu’en lisant ce livre ensemble, les gens se rendent compte de l’individualité de chacun, notamment de l’enfant. »
C’est ainsi que les couleurs qu’il nous donne à voir ne correspondent pas forcément à des reconstitutions de la vision de troubles de la vue de type daltonisme : une girafe rose, un ciel vert, des yeux violets… Elles sont poétiques, artistiques. Que disent-elles ? Que chacune et chacun d’entre nous peut voir les couleurs différemment. Mais aussi qu’être un autre, c’est voir le monde autrement.
Où est le vrai finalement ? C’est bien l’interrogation ! Tout est une question de point de vue. C’est ainsi que ce livre, Jours de Lune mérite vraiment le coup d’œil !
Anne-Sophie Baumann
* Dr Camille Rambaud, et Dr Marie Maréchal
Anne-Sophie Baumann remercie chaleureusement pour leur attention et leur participation : Katsumi Komagata, les éditions des Grandes personnes, les docteurs Camille Rambaud et Marie Maréchal, ainsi que Pierrick Graviou.
NDLR : Parallèlement à cet ouvrage, les Éditions des Grandes Personnes rééditent Pacu Pacu (ISBN 978-2-36193-591-7), initialement publié par Les Trois Ourses en 2000.
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