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INTERVIEW
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La parution chez La Martinière Jeunesse du titre Sauve qui peut ! réunit à nouveau Annabelle Buxton et Olivier Charbonnel qui signent conjointement ce livre.
Après trois précédents ouvrages documentaires chez le même éditeur*, nous avons eu envie de questionner celui qu’on appelle ingénieur ou designer papier sur son implication dans le processus créatif d’un livre animé.
Bonjour Olivier, d’abord une question directe : comment remplissez-vous la case profession sur les formulaires administratifs ?
Olivier Charbonnel : J’ai toujours mis « dessinateur » ou peut-être « illustrateur » et je suis affilié à la Maison des Artistes. Il m’arrive de plus en plus souvent d’être créateur graphique ou auteur comme c’est le cas pour ce dernier livre avec Annabelle.
Comment a commencé votre carrière dans le monde de l’illustration et de l’édition ?
Après mon diplôme de l’ESAG Penninghen, j’ai tout de suite signé un projet de livre animé sur les légendes grecques avec Albin Michel. Malheureusement, l’éditeur Jacques Binsztok est parti dans une autre maison d’édition et le livre n’a jamais vu le jour.
J’ai fait et je fais encore de l’infographie de presse mais un moment clé a été, dans les années 97-98, mes séjours aux États-Unis à Santa Fe chez le packager White Heat où j’ai travaillé avec James Diaz et la directrice artistique Lynette Ruschak, tous deux venus du fameux studio Intervisual. C’était une période formidable.
Venons-en à nos lapins de Sauve qui peut ! Comment est venue l’idée de ce livre qui se démarque d’une simple production d’Halloween ?
En fait, c’est une commande. L’éditrice de La Martinière, Marie Bluteau, avec qui nous avons travaillé sur les trois titres précédents, est venue vers Annabelle et moi en nous disant « Faites-nous un livre qui fait peur ». Elle nous a donné le ton qu’elle voulait tout en nous laissant libres d’imaginer notre lapin échapper à toutes sortes de monstres ou de créatures malveillantes. D’accord pour des zombies mais qu’ils restent assez frais !
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Le dialogue auteur, illustrateur, ingénieur papier, sans oublier l’éditeur, obéit-il à un processus récurrent ou chaque collaboration est-elle différente ?
Ce n’est jamais pareil mais un livre réussi, c’est presque toujours une bonne collaboration avec l’éditeur et les talents concernés. C’est le cas avec La Martinière et notre éditrice, même si j’aurais aimé qu’ils aient encore plus de temps pour nous ! Avec Annabelle, on se connaît bien. Nous avons fait des crayonnés tous les deux puis des story-boards. Ensuite, j’ai proposé mes idées de pop-ups comme on peut le voir sur les vidéos échangées** avec Annabelle. Cela me permettait d’intégrer rapidement ses remarques ou celles de Marie.
Avant d’animer les six double-pages de ce livre, aviez-vous connaissance des contraintes budgétaires liées aux coûts des pop-ups ?
Il est difficile de calculer combien cela va coûter exactement. Comme cet album est « hors collection », nous savions que cela allait être plutôt serré d’autant que les prix de fabrication ont augmenté. Nous aurions bien aimé imprimer recto-verso ou avoir une couverture en embossage [= marquage en relief] ou même en métal ! Mais il faut rester raisonnable et parfois modifier son idée sans frustration ni renoncement. Cependant, j’avais carte blanche pour faire un grand volume, c’est ainsi qu’a poussé la plante carnivore.
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Le spectaculaire pop-up de la plante carnivore a-t-il été chronophage ?
Non, ce ne sont pas les pop-ups les plus impressionnants qui donnent le plus de travail. L’apparition des lapins zombies qui émergent du marécage des revenants a posé davantage de problèmes pour que cela fonctionne correctement sur toute l’étendue de la double-page.
Parfois, une idée s’avère compliquée comme celle que j’ai eue de faire un trou dans la page pour donner le sentiment que le lapin trouve une issue dans la scène suivante. Cela a été un vrai casse-tête pour que tout coïncide !
Nous avons aimé le côté inattendu et ludique des pop-ups et tirettes qui se fondent dans l’illustration. Comment se fait le choix de ces dispositifs ?
Je trouve d’abord un principe simple et après je « crobarde » énormément. Quand je tiens une bonne piste, je passe à l’étape de la maquette. J’en fais beaucoup, parfois plus d’une vingtaine, elles-mêmes modifiées à coup de ciseaux et de ruban adhésif au point de devoir revenir à l’ordinateur et réimprimer un nouveau prototype. Et je recommence jusqu’à arriver à la maquette finale ! Le pop-up, c’est assez binaire, ça plaît ou ça ne plaît pas, alors je préfère toujours montrer des choses propres et convaincantes.
Le graphisme d’Annabelle Buxton est très créatif. Il peut utiliser des empreintes de batiks indonésiens sur les arbres mangeurs de lapins tout en étant précis et exubérant. Le style de l’illustrateur peut-il influencer votre travail ?
Oui, c’est important de s’adapter au style de l’illustration. Quand je fais mes roughs, je les fais différemment si le graphisme est réaliste ou cartoon ou encore si je travaille pour une licence comme Trotro.
Annabelle a beaucoup de talent pour inventer des motifs et beaucoup d’idées graphiques : « Si j’en fais trop, il faut me le dire ». Mais je me serais bien gardé de le faire !
Parfois, on peut avoir de grosses surprises lorsqu’on récupère les fichiers de l’illustrateur. Dans ce cas, je dois réadapter mes premières maquettes en blanc à la nouvelle illustration, ne serait-ce que pour intégrer le contour des dessins. Je dois faire en sorte que tout fonctionne parfaitement avant d’envoyer la maquette définitive au chef de fabrication et à l’imprimeur.
Comment voyez-vous l’avenir du livre animé en France et en Europe ?
Ce qui est compliqué, c’est que les éditeurs réimpriment très rarement les livres pop-up même s’ils les ont tous vendus. Il y a très peu d’exceptions où la maison d’édition part sur une petite série pour réimprimer ensuite. Du coup, chaque titre a une vie et pas deux et c’est une course en avant aux nouvelles opportunités.
Je sais que chaque livre représente un risque financier d’autant que les livres pop-up ne rentrent pas forcément dans les grilles et tordent le bras aux logarithmes de rentabilité !
Sans doute l’écart risque-t-il de se creuser entre les livres bon marché et les livres chers mais le public s’est élargi et c’est encourageant. Le livre pop-up n’est plus forcément réservé aux enfants.
Avez-vous des projets de livres dans vos cartons ?
Non… enfin si ! Le problème est que l’animation d’un livre prend tellement de temps qu’il est difficile de garder toute son énergie pour s’investir dans la réalisation et le dessin d’un autre projet.
Mais j’ai en préparation une sorte de conte et un projet de pop-up de vulgarisation scientifique pour lequel je fais tout le travail d’édition.
Je vais aussi présenter un bouquin d’auteur au Festival du livre animé*** qui accueillera des créateurs de pop-ups invités aux Écuries Saint-Hugues à Cluny en Bourgogne, en septembre 2025. Ce sera un bel évènement.
Finalement, mes cartons sont bien remplis.
Un grand merci, Olivier, de nous avoir fait découvrir la création du livre animé Sauve qui peut ! de l’intérieur et de partager avec nous les vidéos de travail. C’est une première dont livresanimés.com est très heureux !
Propos recueillis par Jean-Marc Desrosiers en novembre 2024
*Pop-up Lune d’Anne Jankeliowitch, Olivier Charbonnel et Annabelle Buxton, De La Martinière Jeunesse, 2018. Pop-up Terre d’Anne Jankeliowitch, Annabelle Buxton et Olivier Charbonnel, La Martinière Jeunesse, 2021. Pop-up Océan d’Anne Jankeliowitch, Olivier Charbonnel et Annabelle Buxton, La Martinière Jeunesse, 2023.
** > Making of Sauve qui peut !
*** Déplier - Festival du livre animé, du 06 au 28 septembre 2025, Écuries de Saint-Hugues, Place de l’abbaye à Cluny.
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Relectures : Thierry Desnoues et Esméralda Jabi
Thierry Desnoues remercie chaleureusement Olivier Charbonnel pour sa disponibilité.
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