Glückliche Stunden
Ein Panoramabilder (1897)
(= Heures joyeuses
Un livre d’images panoramique)
d’Ernst Nister
Collection Graziella Albanèse 

 
     
 
 
 
     
     
     
     
     

LE COIN DU COLLECTIONNEUR

 

Nister et ses heures joyeuses

Je vous présente l’un des nombreux et merveilleux livres à systèmes d’Ernst (ou Ernest) Nister qui, au tournant du XIXe au XXe siècle, a un impact considérable sur les ouvrages pour enfants, dont ceux avec des animations.
Nous allons faire la connaissance de ce personnage puis nous découvrirons le livre.

 
 
 
 

Ernst Nister (1842-1909)
Visuel : D.R.

L’ÉPOQUE
Grâce aux philosophes des Lumières, en particulier Jean-Jacques Rousseau, le XVIIIe siècle et surtout le XIXe, voient le statut des enfants évoluer, du moins pour ceux de la bourgeoisie et de l’aristocratie. Plus d’attention, plus de considération et une éducation moins stricte où est introduite la notion de plaisir. Un marché bientôt florissant se développe pour la jeunesse autour des jouets, des jeux, des livres… Dans ce contexte, de grands éditeurs vont rivaliser d’imagination pour sortir des ouvrages de plus en plus beaux ou d’ingéniosité dans la création de systèmes étonnants. Une période qui a été qualifiée « d’âge d’or. »

LES DÉBUTS D’ERNEST NISTER
Plus tard que d’autres éditeurs, par exemple l’Anglais Dean & Sons déjà très connu depuis avant 1860, l’Allemand Ernest Nister entre en lice dans les dernières années du XIXe. Après des études qui l’ont conduit à faire de longs séjours dans plusieurs pays européens et aussi en Amérique, il achète lors de son retour en Bavière en 1877, une petite entreprise de chromolithographie à Nuremberg qu’il va transformer rapidement en une société d’édition et d’imprimerie dont la renommée dépasse les frontières européennes. Il se spécialise dans l’impression de très grande qualité en employant différentes techniques : la lithographie, la chromolithographie, l’impression légère, l’autotypie et la chromotypie.

Grâce à l’expérience acquise et aux contacts noués lors de ses voyages, il ouvre des bureaux à Londres et travaille, de 1882 à 1888, pour de nombreux éditeurs locaux. En 1888, il devient vraiment lui-même éditeur en ouvrant sa propre maison sur place et s’associe avec son homologue américain Edward Payson Dutton.

Portée par l’essor économique qui a suivi la fin de la guerre franco-prussienne de 1870, sa production est vaste, très variée et elle est appréciée : livres et jeux pour enfants, images en relief, cartes de vœux, calendriers, papier à lettres, poupées en papier, romans, recueils de poésies ou de comptines et même un magazine pour la jeunesse à un penny, Mothers Deasury. Le Nister's holiday annual, contenant des dizaines de titres et des séries particulières, constitue un cadeau attrayant pour Noël ou pour les anniversaires.
Travailleur acharné, estimé et respecté, il occupe plusieurs autres fonctions à Nuremberg et mène une existence aisée avec sa femme et son fils unique dans une grande villa de cinq étages.
Mais bien vite il s’intéresse aux livres animés…


 

 


NISTER ET LES LIVRES POUR ENFANTS, TOUTE UNE ORGANISATION
C’est en 1890 qu’il sort son premier livre à systèmes suivi en 1891 par deux autres. Il devient alors l’un des plus importants producteurs de ce genre d’ouvrages.

Ses livres pour enfants, animés ou pas, sont tous destinés au marché anglais et, par l’intermédiaire de son co-éditeur Dutton, aux marchés américain et canadien. Sur beaucoup, les deux noms, Ernest Nister London et E. P. Dutton & Co New York, figurent sur les couvertures. Les dessins et textes en anglais sont conçus dans ses bureaux de Londres. Il emploie de nombreux écrivains et illustrateurs mais toujours sous son impulsion et sa supervision car il y a un « style Nister ». Parmi eux, on peut citer Louis Wain avec ses chats anthropomorphes et Beatrix Potter qui lui a vendu des vers et des illustrations pour sa série Changing Pictures. On ne sait pas si Nister a lui-même dessiné dans certains de ses ouvrages mais, de temps à autre, son nom apparaît en tant qu’illustrateur. Les planches des livres d’images sont parfois réutilisées pour les animés.
Il dépose plusieurs brevets pour des systèmes et, en particulier, en 1899 pour des « Star-shaped moveable pictures » (des images mobiles en forme d’étoiles). On lui attribue l’invention de l’ouverture automatique des livres en relief. En 1895, il crée un panascopique « The Children’s Holyday Coach » (Le carrosse des vacances des enfants) qui, dans l’état actuel des connaissances où subsistent tant de zones d’ombre, peut être considéré comme le premier pop-up (> voir dans la mise à jour d’avril 2024 du site livresanimes.com, la vidéo Voyage dans le monde des livres animés).

Les maquettes réalisées à Londres sont ensuite adressées à Nuremberg pour être imprimées et assemblées à la main. La plupart des livres portent alors la mention « Designed in England Made in Bavaria ». Ensuite retour des ouvrages terminés en Angleterre pour la vente et envoi chez Dutton. Il contribue ainsi largement au succès populaire des livres à systèmes en Europe occidentale et en Amérique.

Et ceux en allemand me direz-vous ? Seulement une petite partie de la production en anglais est traduite et adaptée pour une publication simultanée en Allemagne. Et ce n’est pas Nister qui s’en charge. La tâche est confiée à l’éditeur d’art Theo Stroefer qui est aussi soucieux du bel ouvrage que Nister. Ils deviennent même amis et Stroefer déménage de Munich à Nuremberg pour être au plus près de Nister et de sa fabrique.

Theo Gielen, historien néerlandais des livres animés, a écrit dans un de ses articles que les livres en allemand sont plus rares que ceux en anglais. Pour l’anecdote, lorsqu’il visite notre exposition « Waouh ! » en 2013, il est surpris de découvrir que l’un des deux derniers Nister à systèmes de 1917 existe aussi en allemand et, qui plus est, a été édité par l’entreprise Nister elle-même (Püppchens Guckkasten, pages 42 et 44 du catalogue).


 
 


UN LIVRE BIEN SÉDUISANT
Glückliche Stunden est rédigé en allemand gothique comme il est d’usage en ce temps-là car jugé plus à même de traduire l’esprit germanique que les autres écritures. La gothique est utilisée jusqu’au 3 janvier 1941 où elle est prohibée par un décret des nazis au motif qu’elle serait d’origine juive, mais la réalité est que leur propagande, dans cette graphie difficile à déchiffrer, n’est pas comprise dans les pays occupés.

Sur la couverture, il n’y a ni le nom de Nister ni celui de l’éditeur allemand Stroefer qui n’apparaît que sur la page de titre. Le livre est attribué à Nister seulement par une inscription discrète sur la dernière page.


 
   
 
Comme dans la version anglaise parue sous le nom de Pretty Polly, toutes les pages ont des dessins en noir et blanc mais je n’en compte que 20 au lieu des 26 annoncées dans la description de cette dernière et les textes ont été modifiés pour correspondre à la culture allemande. C’est Cornelie Lechler qui les a rédigés. Très connue en Allemagne, elle travaille donc pour Stroefer mais aussi pour l’éditeur Schreiber.

Les quatre charmantes doubles-pages en relief sur deux niveaux et en chromolithographie sont bien présentes. L'illustration a été réalisée par les Britanniques Helena Maguire et Emily Hardy.

Cet ouvrage aurait été le préféré de Nister qui, pourtant, en a fait tant d’autres et avec des systèmes plus sophistiqués ! Bien sûr, il réunit tous ses codes : des enfants sages portant de beaux vêtements, occupés à jouer, ici en faisant une ronde ou alors en villégiature, ici à la mer. Partout leurs animaux de compagnie sont avec eux. Des images que sans doute la bonne société d’alors aimait trouver dans les livres qu’elle offrait à ses enfants.
 
 

 

 
Un autre des quatre pop-ups nous montre six chatons tout mignons, pour une fois non habillés (ce que je préfère), guettant un perroquet échappé de sa cage.

 
 
Quant au superbe carrosse du pop-up suivant, il est annoncé dans la description du livre anglais, comme le « Cinderella’s coach » (le carrosse de Cendrillon). Mais ici, pas de Cendrillon qui en allemand aurait pu être Aschenputtel, celle des frères Grimm… Il est seulement question d’une certaine Marlenchen. Cependant le prince tient bien un soulier…

 
 
   
 
Ernest Nister meurt en 1909 mais sa société poursuit son œuvre jusqu’à la première guerre mondiale où les échanges entre certains pays deviennent difficiles. L’entreprise Nister dont l’activité est tributaire de ses exportations, va voir celle-ci se ralentir. Néanmoins, elle continue d’éditer quelques livres en 1915, tous marqués « Nister/Dutton ». Mais les difficultés inhérentes au conflit pèsent bientôt sur sa production : pénuries de matières premières (papier, encre et autres fournitures) et peut-être un personnel réduit. Et puis la clientèle n’est plus au rendez-vous car la demande va aux produits essentiels et les Allemands se concentrent sur l’effort de guerre. Le coup de grâce est porté en 1917 par les Britanniques quand ils décident de fermer la filiale londonienne, la firme Nister étant maintenant considérée comme une ennemie. Les locaux sont immédiatement repris par un éditeur de Londres, Scott & Sleeman, lequel édite, en 1917, la version anglaise Dolly’s Peepshow Picture Book de Püppchens Guckkasten cité précédemment et considéré comme l’un des deux derniers livres interactifs de la société Nister. Puis en 1927, la maison d’édition Nister est supprimée de l’annuaire des éditeurs allemands.

CONCLUSION
Peut-on aller marcher dans les pas d’Ernest Nister à Nuremberg ?
Hélas non car le grand bâtiment de style gothique qui était le siège de l’entreprise, tout comme la maison qu’il a habitée, ont été détruits par les bombardements de 1945. Tout a disparu, les archives, les catalogues des publications… Peu de traces donc dans la ville de cet homme qui a été si important, sauf peut-être au Musée du Jouet de Nuremberg qui possède une belle collection de ses créations…
Comme rien n’est jamais terminé dans les recherches sur les livres pour enfants des siècles passés, toute nouvelle information importante sera portée à votre connaissance.

Graziella Albanèse / Livresanimes.com, 2024

 
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  Sources :
Peeps into Nisterland - A Guide to the Children’s Books of Ernest Nister
by Julia and Frederick Hunt

> Site Vintage pop-up books

> Courte histoire de l’écriture allemande aux XIXe et XXe siècle

Photos : Patrick Lecoq sauf mention contraire.
Relectures : Thierry Desnoues et Esméralda Jabi.

 
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